Philippe Le Guillou
Philippe Le Guillou is a French writer, who was born in Le Faou in Brittany, in 1959 and who has so far written over 20 novels and a dozen essays bearing on literature, memory, artistic creation amongst other themes. His novel The Seven Names of the Painter published in 1997 won the prestigious Prix Medicis, a French literary award given each year in November.
La création littéraire a partie liée avec la nuit, l’inconnu, le régime nocturne des songes. C’est l’intuition qu’exprime Banville dans ce beau texte et il est difficile de la mettre en doute. Qui a écrit sait ce moment et ce mouvement d’abdication de la conscience, de renoncement même, que suppose l’entrée en écriture. Toutes les amarres qui nous liaient à la réalité se dissipent, un brouillard d’une densité rare nous enveloppe, nous sommes soudain dans la nuit et nous sommes cette nuit.
Le matériau qui prélude à la mise en forme littéraire et qui en constitue le substrat, est ce mélange de rêves, de fantasmes, de formules qui surgissent d’une sorte de nuit intérieure. Banville a raison de dire qu’à cet instant, l’écrivain n’est ni un grand prêtre ni un chaman, simplement le passeur d’une matière et d’une énergie qui n’auraient aucune existence sans lui. Il n’y a aucun sacre, aucune mise en scène du sujet qui écrit, aucune théâtralisation d’un acte et d’un moment puissamment mystérieux et indéchiffrables. Aucun regard rationnel, aucune intrusion outrageusement scientiste ne sont alors envisageables.
Les chemins de la création demeurent ces sentes ombreuses, boueuses, terraquées. Elles sont de tourbe et d’eau, de fange et de nuit. Elles puisent à ce creuset primordial, inconnu, difficilement localisable, où se concentre tout le secret de la destinée. Et le mouvement de l’écriture est double : il est d’extraction, d’exposition à l’extérieur et à la lumière, et, parallèlement, de protection et de retrait. Aucun écrivain n’est assez fou pour livrer en pâture le chiffre d’un royaume intérieur dont il n’est lui-même pas sûr de détenir la clé. Aucun écrivain n’est assez fou pour prétendre avoir l’arrogance du mage qui éclaire et conduit. L’écriture est affaire de silence et de nuit, de méditation épaisse et tâtonnante, c’est un songe profond dont on a du mal à se dépêtrer, tout englué qu’on est dans cette matière incertaine, improbable et dont on n’est jamais certain de pouvoir maîtriser le courant et le flux. On écrit donc toujours selon le rythme, la pulsation magique de cette double postulation : l’extraction, l’offrande à la lumière et la pudeur, l’impossibilité de tout dire parce que l’écriture suppose l’exploration prudente et précautionneuse des voisinages d’un gouffre qu’il est salutaire et vital de fuir. On donne et on retire, on montre et on cèle, à l’image de ces marées superbes, aux vagues transparentes, qui laissent deviner l’existence de splendides villes englouties et repartent, avec leurs présences et leurs secrets. C’est là toute la beauté et le mystère de ces passeurs précaires que restent les pourvoyeurs de songes et de fictions.
English Translation
The raw material which preludes literary creation, which constitutes its fertile ground is that combination of dreams, fantasies and phrases that spring from that inner night. Banville is right when he says that when doing so, the writer is neither priest nor shaman. The writer is only the conveyor of some matter and energy that would never have come into being without that dream-like substance in the first place. There is no holiness, no theatrical dimension whatsoever to the subject who writes. This admits of no dramatization, no staging of an act and moment which prove both mysterious and cryptic. No rational explanation, no outrageously scientistic intrusion will do.
Fiction works in mysterious ways, at times tenebrous and at times muddy and terraqueous. Those ways lie in the middle of fields made of peat, muck and mire at night. They derive from the strange, essential, untraceable crucible where the entire secret of destiny is to be found. The movement inherent in writing is therefore twofold: it comes from within to expose entities to broad daylight and simultaneously, it provides one with shelter and protection by withdrawing oneself from the world. No writer is foolish enough to give away the key to an inner kingdom that even they are not certain they possess. No writer is foolish enough to pretend to have the arrogance of the magus who leads and illuminates. Fiction is a matter of silence and night, of intense and tentative meditation; it is a profound dream one finds hard to extricate oneself from due to its viscous, uncertain, unlikely matter, whose flow and circulation you can never control for sure. One always writes according to the rhythm or magical pulse of that double assumption: that of digging and bearing to broad daylight on the one hand, and that of detachment on the other, for all cannot be worded, because fiction implies the cautious exploration of the surroundings of a chasm it is urgent and salutary to flee. One gives and withholds, one shows and hides, taking after the ebb and the flow, whose crystal-clear waves let you catch a glimpse of splendid submerged cities, hinting at their presence and secrets.
Here lie the charade and beauty left by the ephemeral messengers that dream and fiction providers remain.
Translated from French by Dr Thierry Robin
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